Quelques notes

2011/06/20 | Simon Rodriguez |

Malgré les différences fondamentales qui séparent les oeuvres vidéo-ludiques des productions cinématographiques, celles-ci partagent un point commun : la bande-son. Dans les deux cas, la musique permet de construire l'ambiance de l'expérience que va vivre le spectateur [1], elle renforce l'histoire, soutient les différentes atmosphères qui baignent l'oeuvre. En ce sens, la musique devient réellement partie intégrante de la création, adaptée aux images, aux sons, au scénario. Et certaines musiques de jeux vidéo y parviennent particulièrement bien. En voici quelques exemples, dont la bande-son est disponible, soit gratuitement en ligne, soit dans des boutiques plus ou moins dématérialisées.

C'est une composition orchestrale qui constitue l'accompagnement musical de Bioshock. Dans ce jeu [2], vous explorez la cité engloutie de Rapture, rêve déchu d'un mégalomane des années 50 qui souhaitait créer une nation dirigée par la science, au fond de l'Atlantique. Traverser la ville anéantie par les combats de ses anciens résidents, ravagés par les mutations corporelles dont ils ont abusés, va devenir votre mission. L'atmosphère est volontairement stressante, et vous plonge dans ce chef-d'oeuvre Art Déco qu'est Rapture, hanté par les Chrosomes, où rodent les intimidants Protecteurs. Les jeux d'ombres et de lumières se construisent peu à peu, contribuant à faire monter l'angoisse. La musique se revendique des oeuvres cinématographiques de l'époque, avec des cordes omniprésentes, en longues nappes sonores et mélancoliques, mais qui s'envolent parfois dans les aigus, accélérant le cœur du joueur. Le piano clair des années cinquante s'affirme aussi dans certaines pistes, et renforce l'impression de décrépitude ressentie en se frayantun passage dans les sombres couloirs de la ville sus-marine. Cette bande-originale a valu à son compositeur, Garry Schyman, de nombreux prix[3], et a été mise à disposition gratuitement sur le site de Bioshock [4] ; un vinyl quarante-cinq tours en a aussi été pressé, vendu avec le coffret collector du jeu, accompagné des nombreux morceaux connus des années 50-60 que le joueur pouvait entendre dans le jeu, notamment des réalisations de Django Reinhardt, Noel Coward, Frank Sinatra, mais aussi Patti Page [5] ou, plus ancien, Tchaikovsky, achevant de compléter l'immersion dans l'univers steampunk de ce jeu fascinant.

Si une œuvre du jeu vidéo a su développer la fusion images-musiques, il s'agit de l'univers de Myst [6], dont l'accompagnement musical trouve un équilibre entre la variété et l'hérédité. Les musiques de Myst et Riven sont relativement discrètes, réhaussant le mystère de ces îles étranges ; les sons synthétiques sont discrets, mais créent cependant des thèmes appelés à devenir récurrents. Thèmes que l'on retrouve dans Exile et Revelation, portés au sommet par la maestria du compositeur Jack Wall, qui dirige ici les choeurs et orchestres philharmoniques de Seattle et Bratislava. L'intervention de solistes classiques qui chantent des paroles ayant trait à l'histoire dans un dialecte D'ni fictif créé pour l'occasion, et la participation de Peter Gabriel [7] conférent à ces musiques une force, mais aussi une poésie qui se place en adéquation avec l'ambiance des Ages. Enfin, la musique de End of Ages et d'Uru [8] est le fait de Tim Larkin, qui livre des morceaux aux sonorités exotiques, évocateurs des mondes que l'on traverse, s'adaptant à leur diversité, rappelant leur histoire. On y retrouve toujours en filigrane les motifs créés par Robyn Miller pour les premiers opus, amplifiés, remodelés. Bien que cette musique demeure synthétique, elle n'emporte pas moins le joueur dans un univers au-delà de son imagination, sur les traces de la famille d'Atrus et de l'antique cité D'ni aujourd'hui abandonnée. Chaque jeu de la série a eu droit à la publication de sa bande-originale sous forme de compact-disc, hélas en rupture de stock pour la plupart. Ces musiques n'en restent pas moins disponibles en ligne, sur Spotify ou sur l'iTunes Store [9].

Un autre jeu remarquable, cette fois-ci sur iOS, se nomme Superbrothers : Sword and Sworcery EP [10]. Derrière ce nom à rallonge se cache une quête menée par une héroïne mi-guerrière, mi-mage, partie à la recherche du Megatome, un grimoire aux puissants pouvoirs qui demeure protégé par une entité maléfique. Le jeu est un véritable hommage au pixel-art, avec de somptueux décors dans les teintes bleu-vert qui évoluent selon les phases de la lune. Alternant combats et exploration, le joueur s'immerge peu à peu dans cet univers à mi-chemin entre les Celtes et le Moyen-Age, et s'attache à l'héroïne, d'autant que le scénario est particulièrement construit[11], avec un narrateur qui s'immisce dans les pensées de l'héroïne[12], celle-ci parlant de plus d'elle-même à la troisième personne. L'action est une explosion de pixels, soutenue par les excellentes musiques de Jim Guthrie, un mélange d'électro et de rock qui colle particulièrement à la narration. Le EP dans le titre du jeu lui confère quasiment le statut d'album interactif, puisque ce ne sont pas moins d'une trentaine de pistes qui constituent sa bande originale, publiée sur BandCamp, sur l'iTunes Sore et en vinyl sous le nom The Ballad of the Space Babies [13]. L'album est chargé de sonorités mystérieuses, qui apportent aux différentes pistes des tonalités parfois angoissantes, parfois plus paisibles, avec toujours un équilibre entre des instruments classiques tels la batterie ou la guitare, et un travail de retouche et d'amplification sur la table de mixage.

Enfin, Mirror's Edge est une réalisation intéressante, parce qu'elle se place en équilibre entre de nombreux éléments : entre le FPS et le jeu de plateforme, entre la grosse production et la création indépendante, entre l'action et la réalisation esthétique[14]. Dans un futur proche, dans une ville globale, une sorte de Tokyo idéalisée et surpeuplée, les habitants ont troqué leur liberté contre une société sécuritaire et aseptisée. Le joueur incarne Faith, une jeune femme Messagère, qui s'occupe de transmettre des colis tout sauf légaux à leurs destinataires sans que les forces de sécurité ne s'en rendent compte. Cependant, une entente tacite s'est peu à peu installée entre policiers et Messagers... Jusqu'à ce qu'un candidat à la mairie se fasse assassiner : Faith se voit accusée du crime, et est obligée de fuir en abandonnant sa soeur sur la scène du crime[15]. Son seul espoir est alors d'enquêter elle-meme pour démêler l'écheveau de conspirations politiques qui a conduit à la mort de R. Pope. Le studio DICE a réalisé un superbe travail de modélisation et d'éclairage. Les teintes de blanc et de gris dominent la ville, seuls de rares ilots de couleur vive émergent de la masse urbaine[16] : la couleur est ici l'exception, le remarquable. La ville est une source d'environnements variés, tous marqués par une véritable recherche architecturale, un design et un esthétisme épurés mais cependant travaillés. La musique electro de Solar Fields, aka Magnus Birgersson [17], cadre merveilleusement bien à l'univers urbain de la mégapole. Parfois organique, parfois électronique, elle soutient et amplifie les moments d'actions comme les périodes de calme et d'escalade. On se laisse emporter dans cet ensemble urbain chatoyant, un univers de couloirs, d'ascenseurs, de conduits, de toits, d'échafaudages et de bouches de ventilations que l'on traverse en courant, profitant de chaque détail offert par la vue à la première personne. Un jeu qui donne le vertige.


  1. pour moi, un joueur reste avant tout spectateur, parce qu'aucun jeu n'offre la liberté absolue qui ferait de lui un acteur (à de rares exceptions près). 

  2. genre officiel : jeu de tir à la première personne génétiquement amélioré

  3. G4 Television Awards (Soundtrack of the Year), Spike Video Game Awards (Best Original Score), plusieurs nominations de la part de la Game Audio Network Guild,... 

  4. Bande-son ici 

  5. Mais si, souvenez-vous, How Much is that Doggie...

  6. Quoi, encore ? Le prochain qui tousse, je le bannis à vie. 

  7. Avec l'EP Curtains, et en jouant une des voix du jeu, en version anglaise. 

  8. Tant Ages Beyond Myst que les extensions ou le multijoueur. 

  9. Myst et Riven (iTunes Store) Myst III (Amazon) Myst IV (iTunes Store) Myst V (Amazon) Uru (Amazon) 

  10. Ca c'est la version iPad. La version iPhone se nomme Superbrothers : Sword and Sworcery EP Micro. C'est vous dire. 

  11. D'où un niveau d'anglais assez soutenu, avec des étrangetés syntaxiques. 

  12. Autant faire les présentations, elle se nomme The Scythian, et est toujours accompagnée de son fidèle chien, Dogfella. 

  13. Disponible sur l'iTunes Store et sur leur site 

  14. Entre le blockbuster et le succès d'estime. Mais c'est pas grave. 

  15. C'est en fait un peu plus compliqué que ça, mais je résume. L'histoire est excellente. 

  16. -Grimpe sur le tuyau ! -Mais pourquoi ? -Parce qu'il est roooooouge ! 

  17. Disponible sur l'iTunes Store